Jeunes aidants : rompre la loi du silence

Jeunes aidants : rompre la loi du silence

Selon les estimations, la France compterait 500 000 jeunes aidants, soit un élève par classe. Bien qu’omniprésents, ils sont encore trop peu visibles en France, où leur reconnaissance est balbutiante. Pour ces jeunes de 8 à 25 ans, l’aide représente pourtant une charge souvent trop lourde à porter. Comment les repérer et les soutenir ?

Jeunes aidants, entre fierté et fardeau

Selon les quelques rares études menées en France, 40 % des jeunes aidants ont 20 ans ou moins. Ils commencent à aider en moyenne à 16 ans et plus d’un tiers d’entre eux s’occupent d’un de leurs grands-parents. Chez les jeunes, l’aidance est ainsi à la fois une fierté, un rôle qui les valorise et les responsabilise, et un fardeau physique et moral, qui peut avoir de lourdes conséquences à un âge où ces jeunes sont eux-mêmes en construction. Fatigue, douleurs, troubles du sommeil : c’est bien souvent leur vie scolaire et sociale qui en pâtit avec des retards et des absences souvent plus fréquents, et un risque plus élevé de décrochage scolaire.

Un rôle tenu secret

Chez les jeunes, l’aidance est souvent marquée par le sceau du secret : 41 % d’entre eux n’ont mis personne au courant de leur situation, 71 % estiment que cela ne regarde pas les autres. Pourquoi ce silence ? D’abord, parce que les jeunes n’ont pas les clés pour s’identifier eux-mêmes en tant qu’aidants. La peur d’être stigmatisés, à un âge où chacun aspire à être « normal » et à s’intégrer est aussi forte, de même que la crainte d’être séparé de leur proche. Comme le souligne Françoise Ellien, présidente de l’association JADE- Jeunes AiDants Ensemble1 : « pour l’heure, la seule réponse apportée par notre système est le placement de ces adolescents à l’aide sociale à l’enfance ». Résultat : ces jeunes se retrouvent isolés, coupés de potentiels soutiens extérieurs. Comme le révèle l’étude EDUCARE du projet de recherche JAID, le manque de sensibilisation du milieu socio-éducatif est un frein supplémentaire. 88 % des professionnels de l’éducation ne connaissent pas la notion de « jeune aidant » mais après définition, 57 % affirment en avoir déjà rencontré 2.

« De la 6ème à la 3ème, j’ai aidé mon beau-père, atteint d’une hypertension pulmonaire. Je me suis mise de côté : mes amies ne venaient pas chez moi et je n’allais pas chez elles car je devais être à la maison. Je n’en parlais pas non plus à l’école : à l’époque, on craignait les services sociaux. Et puis, la maladie fait peur : le cercle des amis et de la famille se réduit. »

Aline, 35 ans, ancienne aidante

Vu d’ailleurs : des jeunes aidants mieux reconnus

À l’étranger, la reconnaissance des jeunes aidants ne date pas d’hier, comme au Royaume-Uni qui a mis en place une législation spécifique, ainsi qu’un programme global de sensibilisation dans les écoles. Les jeunes aidants britanniques ont même un festival dédié : le Young Carers Festival, qui leur offre chaque année une occasion de se rencontrer et de partager leurs expériences. De son côté, l’Australie propose la Young Carers Bursary, une bourse d’études de 3000 dollars dédiée aux jeunes aidants3. États-Unis, Canada, Allemagne, Afrique du Sud : de nombreux pays ont également mis en place des structures d’écoute et d’accompagnement dédiées aux jeunes aidants.

En France, une prise de conscience émergente

À l’inverse, la France accuse un réel retard avec un manque de données sur les jeunes aidants et une reconnaissance encore embryonnaire de leurs enjeux. Signe d’espoir : de nombreuses associations essaiment sur le territoire, à l’image de JADE, dont les ateliers de cinéma-répit dédiés aux jeunes aidants se développent partout en France. Du côté du gouvernement, la stratégie 2020-2022 en faveur des aidants prévoit un volet jeunes aidants, notamment la sensibilisation des personnels de l’Éducation nationale avec, dans un premier temps, une expérimentation lancée en 2020 en Île-de-France et Occitanie.

Repérer les jeunes aidants pour mieux les épauler

Pour mieux soutenir les jeunes aidants, de nombreux acteurs soulignent l’importance d’agir dès le milieu scolaire en sensibilisant les personnels enseignants et en prévoyant des aménagements des temps scolaires : « Un collégien souvent en retard ou qui s’endort en classe, c’est peut-être le signe qu’il est en situation d’aidance », souligne Françoise Ellien. L’association JADE propose également la mise en place d’un système de « référents » adultes pour accompagner le jeune aux moments clés de sa vie d’aidant. La création d’outils numériques tels que des plateformes d’échange pourrait aussi être une piste prometteuse pour favoriser le partage d’expérience des jeunes aidants entre eux. En attendant une véritable politique jeunes aidants en France, la sensibilisation de chacun est un premier pas pour les faire sortir de l’ombre.

SOURCES
Enquête nationale aidants 2020, Ipsos-Macif, 2020.
Les jeunes aidants aujourd’hui en France, Les cahiers du CCAH, n°9, juin 2019.
Qui sont les jeunes aidants aujourd’hui en France ?,Enquête Novartis – Ipsos, 2017.
Étude EDU-CARE, JAID – Recherches sur les jeunes AIDants, Laboratoire de Psychopathologie et Processus de Santé de l’Université Paris-Descartes, 2019.


1 cité dans https://informations.handicap.fr/a-jeunes-aidants-invisibles-parmi-les-invisibles-12322.php

2 Source : 1er volet de résultats de l’Etude EDU-CARE, Projet « JAID » Recherches sur les jeunes AIDants, Laboratoire de Psychopathologie et Processus de Santé de l’Université Paris-Descartes, 2019-2020.

3 https://www.faire-face.fr/2016/10/06/les-jeunes-aidants-mieux-reconnus-a-letranger/