Covid-19 : entre devoir de prévention et droit au répit des aidants

Covid-19 : entre devoir de prévention et droit au répit des aidants

Entretien avec Olivier Morice

La crise sanitaire que nous traversons a des conséquences importantes sur le quotidien des aidants, que la situation risque de laisser dans un profond désarroi, voire dans un état d’épuisement et de détresse psychologique élevés.

 Pour Olivier Morice, délégué général du collectif Je t’Aide – Journée Nationale des Aidant·e·s, cette situation a aussi mis en évidence l’absence de reconnaissance de ces acteurs silencieux de l’aide aux personnes dépendantes.

Jean-Christophe Moine (JC.M.) : La période de confinement s’achève progressivement. Cette situation a-t-elle eu un impact sur les aidants ?

Olivier Morice (O.M.) : Avant tout, le confinement a souligné à quel point la situation des aidants est souvent traitée de façon théorique. Les aidants peuvent-ils bénéficier de solutions de répit ? Oui, en théorie. Les aidants peuvent-ils continuer à travailler ? Oui, là aussi, en théorie. Beaucoup d’aidants vous diront que la situation n’a pas changé grand chose à leur vie, parce qu’ils étaient déjà confinés avant, faute de moyens et de temps pour pouvoir sortir de chez eux. Les prises en charge sont tellement lourdes qu’elles demandent une attention de chaque instant, confinement ou pas. Alors qu’aujourd’hui tout le monde a le droit de sortir avec certaines restrictions, les aidants, en pratique, ont plutôt le devoir de rester confinés, pour ne pas mettre en danger la vie de leurs proches.

Concrètement, du jour au lendemain, des aidants qui étaient parfois les chefs d’orchestre d’une prise en charge très lourde, faisant intervenir quatre à cinq intervenants différents par jour, ont dû tout faire eux-mêmes, et notamment des gestes professionnels. Or, on entend souvent que les aidants ne devraient pas faire de gestes professionnels. Là encore, c’est de la théorie. Comment faire quand il n’y a plus d’infirmiers ou lorsqu’on est éloigné, dans un désert médical ? Comment faire quand il a soudainement fallu gérer seul la crise du Covid-19, parce que les professionnels n’étaient plus disponibles, soit en raison du danger de faire venir des personnes de l’extérieur, soit parce que ces soignants étaient eux-mêmes malades ou qu’ils participaient à la gestion de la crise sanitaire à l’hôpital. Ce fut une sacrée charge et beaucoup de stress supplémentaire pour les aidants. Les situations de base, déjà difficiles à gérer, sont devenues encore plus anxiogènes. Ils sortiront de cette crise épuisés.

Autre cas. Celui des personnes qui ne se considéraient pas comme des aidants car leurs proches, en perte d’autonomie, étaient pris en charge par un service hospitalier. Personne ne critiquera le besoin urgent de certains hôpitaux de faire de la place pour les malades du Covid-19 qui affluaient. Mais, du jour au lendemain, une personne en rééducation, sous dialyse ou amputée des deux jambes, a dû libérer sa chambre d’hôpital et rentrer à la maison. C’était très lourd pour le nouvel aidant.

JC.M. : Le déconfinement va-il quand même pouvoir être un soulagement pour les aidants ?

O.M. : Oui, à partir du moment où les services à domicile pourront se mobiliser aux mêmes niveaux qu’avant la crise. L’extension des périmètres de déplacement va aussi aider, car on a eu des cas assez malheureux d’aidants qui ont du gérer les amendes reçues par leurs proches Alzheimer faisant de la déambulation. Mais, revers de la médaille, les aidants vont faire face à la peur d’attraper la maladie et de mettre leur proche en danger. Les effets psychologiques de ce stress et de cette peur risquent d’être assez importants.

JC.M. : Des solutions de répit déjà existantes seront diversifiées et amplifiées, selon le gouvernement. Ces solutions de répit se mettent-elles déjà en place ? 

O.M. : Un engagement du gouvernement sur des termes aussi flous ? J’attends d’en savoir davantage. J’attends du concret. Qu’il s’exprime sur l’engagement des aidants, qui ont permis à la société de tenir. Qu’il offre, pourquoi pas, une enveloppe de 60 jours de répit pour les aidants ! 

Le répit est la thématique du plaidoyer 2020. En France, le répit est un droit, prévu par la loi d’adaptation de la société au vieillissement entrée en vigueur au 1er janvier 2016. Sauf que ce droit n’est accessible que dans des situations d’accompagnement très ciblées. Et pour l’obtenir, il faut remplir des montagnes de paperasse et fournir des tonnes de justificatifs… Je vous épargne les détails, mais nous n’arrivons même pas à connaître combien d’aidants bénéficient de ce répit : ils se comptent sur les doigts d’une main selon certains députés.

Nous avons constaté qu’il existe des hospitalisations non nécessaires, d’une semaine à 15 jours, prescrites par des soignants qui font preuve d’humanité et qui ne peuvent pas laisser repartir un malade chez lui en sachant que son aidant est au bout du rouleau. Il est juste humainement nécessaire de prendre en charge ces malades pour que les aidants puissent souffler. Mais, pour ça, une structure de répit aurait très bien fait l’affaire. On ne peut pas se satisfaire d’initiatives personnelles. Il faut que le répit soit systématique. Il faut que le répit puisse être prescrit par des médecins !

Nous menons actuellement une étude pour démontrer que l’on se trompe quand on voit le répit comme une dépense. Une journée ou une nuit de répit coûte entre 80 et 150 euros. Une journée d’hôpital coûte au minimum 1500 euros, pris en charge par les hôpitaux et la Sécurité sociale. Personne ne considère cette dépense comme la conséquence d’un accès impossible au répit pour des gens qui ont fini par craquer ! C’est un très mauvais calcul, tant d’un point de vue social que d’un point de vue économique.

Quel est le coût du « répit caché » ? Nous allons essayer de le chiffrer. Nous pourrons alors montrer à Bercy que l’argent dépensé pourrait être utilisé pour offrir des périodes de répit aux aidants. Il suffit d’accepter de financer le médico-social et le social plutôt que le sanitaire. Il faut vraiment valoriser le répit et le rendre accessible.

JC.M. : Merci Olivier Morice de nous avoir accordé cette interview. 

Jean-Christophe Moine
Ethnomédia
Le 12/05/2020