Aider un proche malade ou dépendant : quelles répercussions sur l’état de santé de l’aidant ?

Aider un proche malade ou dépendant : quelles répercussions sur l’état de santé de l’aidant ?

L’accompagnement d’un proche malade ou en perte d’autonomie peut être une expérience extrêmement gratifiante, mais il représente également une période de vulnérabilité pour la santé de l’aidant.

S’il ne fait maintenant pas de doute que le fait d’aider un proche en difficulté peut avoir des répercussions négatives sur la santé mentale et physique de l’aidant, des études de plus en plus nombreuses tendent toutefois à montrer qu’une personne peut également, dans certaines conditions, tirer des bénéfices du « statut » d’aidant pour sa santé.

Ce dossier dresse un état des connaissances sur les liens complexes qui unissent le statut d’aidant et l’état de santé de la personne qui assume ce rôle.

Être aidant : des effets bénéfiques pour la santé ?

Des aidants protégés face à certaines maladies

La très grande majorité des études sur la santé des personnes aidantes se sont penchées sur ce thème par le prisme du stress engendré par le rôle d’aidant. Ces travaux ont ainsi mis en exergue les répercussions négatives sur la santé de l’aide intervenant dans un contexte particulièrement éprouvant psychologiquement. En effet, les études sur la santé des aidants portent souvent sur des individus relativement âgés, accompagnant leur conjoint vivant sous le même toit et atteint de déficiences ou de troubles du comportement très lourds (le plus souvent causés par la maladie d’Alzheimer ou une maladie apparentée).

Or toutes les personnes aidantes ne font pas face à des situations d’accompagnement génératrices de stress. Selon une récente enquête représentative de l’ensemble des aidants anglais, 70 % d’entre eux considèrent que leur statut d’aidant n’engendre pas de stress [1]. D’après l’enquête HSA (Handicap-Santé aidants) réalisée en France en 2008, plus de la moitié (57 %) des aidants de personnes âgées ne perçoivent pas l’aide qu’ils apportent comme une charge [2].

Depuis plusieurs années, des études de plus en plus nombreuses se penchent sur l’état de santé de ces aidants « non stressés ». Leurs résultats tendent à montrer, non seulement qu’ils ne présentent pas une fréquence augmentée de maladies, mais au contraire qu’ils pourraient être plutôt protégés contre le risque de survenue de troubles psychiques ou somatiques.

Ainsi, selon une étude réalisée en France, les aidants de personnes âgées dont la charge ressentie est faible ou inexistante, présentent un meilleur état de santé général que des « non-aidants », ressentent moins de fatigue physique ou psychique, et ont un risque diminué de dépression [3]. Plusieurs travaux récents démontrent également que les aidants qui ne se considèrent pas stressés présentent une mortalité significativement plus faible que des « non-aidants » [4,5].

Les aspects positifs de l’aide qui n’est pas vécue de manière stressante

Comment expliquer que des aidants présentent moins de risque de développer certaines maladies, et ont une mortalité moins importante que des « non-aidants » ?

Dans les situations où l’aide ne représente pas une charge physique ou émotionnelle trop importante, le fait d’accompagner un proche en difficulté représente une expérience qui peut être vécue de manière extrêmement gratifiante par l’aidant. Cette satisfaction personnelle peut très certainement participer positivement à l’état de santé de l’aidant. Plusieurs travaux ont ainsi montré que des activités de nature altruiste améliorent significativement le sentiment de bien-être et la santé d’une personne [6,7]. Il est également possible, dans des situations d’aide peu éprouvantes, que les aidants privilégient plus ou moins consciemment l’adoption d’un mode de vie plus sain (diminution ou arrêt des consommations de tabac et d’alcool, meilleures habitudes alimentaires, consultations médicales plus fréquentes…), afin de maintenir leur capacité d’aide sur le long terme. Par ailleurs, compte tenu des diverses tâches qu’ils ont à accomplir, les aidants conservent une certaine forme d’activité physique qui peut permettre de prévenir la survenue de pathologies en lien avec la sédentarité [8]. Enfin, les échanges entretenus par les aidants avec les professionnels de santé et du champ social, ainsi que leur éventuelle participation à un réseau d’entraide (par l’intermédiaire d’associations d’aidants, de sites internet spécialisés…), peuvent favoriser une certaine vigilance concernant le maintien d’un bon état de santé.

Des risques pour la santé liés à un état de stress chronique

Un risque accru de maladies psychiques et somatiques

Les études les plus récentes tendent à montrer que les aidants peuvent, sous certaines conditions, être protégés face à la survenue de maladies. Il n’en demeure pas moins que la majorité des travaux sur la santé des aidants indiquent que ceux-ci ont globalement plus de risque que les « non-aidants » de développer des maladies psychiques, aux premiers rangs desquelles figurent les troubles dépressifs [9]. Selon l’enquête HSA, plus d’un aidant de personne âgée sur dix déclare se sentir dépressif, cette proportion atteignant 40 % parmi les personnes qui perçoivent l’aide qu’elles apportent comme une charge importante (tensions fortes dans les relations avec la personne aidée ou sa famille, sentiment de manque de reconnaissance, d’isolement, manque de temps pour soi ou pour les proches…) [2].

Les troubles psychiques ressentis par les aidants peuvent s’exprimer de diverses autres manières. Toujours selon l’enquête HSA, près de 30 % des aidants déclarent se sentir anxieux ou surmenés, 25 % expriment une « fatigue morale », 19 % indiquent prendre des médicaments « pour les nerfs ou pour dormir »…

Prenant appui sur ces différentes constatations, des études ont suivi sur plusieurs années la santé mentale d’aidants âgés. Leurs résultats tendent à montrer que ces aidants présenteraient un déclin accéléré de leurs fonctions cognitives (capacités d’attention, de mémorisation, langage…), voire un risque augmenté d’évolution vers une démence [10,11].

Il est maintenant bien acquis que le fait d’accompagner un proche en difficulté peut avoir des répercussions négatives non seulement sur la santé mentale des aidants, mais également sur leur santé physique. Le constat est bien étayé en ce qui concerne la survenue de maladies cardiovasculaires. Des études réalisées aux Etats-Unis auprès de plus de 50 000 femmes, indiquent notamment que celles aidant de manière substantielle (c’est-à-dire au moins 9 heures par semaine) un proche – conjoint, enfant ou petit-enfant – présentent un risque accru de développer une maladie coronarienne (infarctus de myocarde fatal ou non) [12,13].

D’autres chercheurs ont également pu mettre en évidence une sensibilité accrue des aidants à certaines infections, notamment respiratoires et urinaires, en lien avec une diminution de leurs capacités de réponse immunitaire [11,14].

Les conclusions de ces différentes recherches concordent en grande partie avec les perceptions exprimées directement par les aidants. Lorsque l’on questionne par exemple les aidants français de personnes âgées sur leur santé [2], 7 % indiquent se sentir en mauvais état de santé général. Cette proportion n’apparaît pas très différente des moyennes observées dans la population générale française (4 % des personnes âgées de 40 à 64 ans, et 11 % de celles de 65 ans ou plus, s’estiment en mauvaise santé) [15]. Mais lorsque l’on s’intéresse plus particulièrement aux aidants qui perçoivent l’aide apportée comme une charge importante, la part des personnes qui s’estiment en mauvais état de santé général monte à 17 %.

Un certain nombre d’études sont allées jusqu’à évoquer, dès la fin des années 1990, la possibilité d’un risque accru de mortalité parmi les aidants [16], constat ayant pu favoriser la diffusion de discours alarmistes et excessifs selon lesquels « les aidants meurent souvent avant la personne qu’ils aident ». Les résultats de ces travaux doivent toutefois véritablement nuancés, à la lumière des études de mortalité des aidants citées précédemment [4,5].

Les effets négatifs d’un état de stress chronique

L’accompagnement d’un proche malade ou en perte d’autonomie représente, pour de multiples raisons, une charge émotionnelle qui peut être vécue de manière particulièrement pesante par l’aidant. A cet égard, les liens de cause à effet entre le statut d’aidant et le développement de troubles psychiques, essentiellement dépressifs, sont assez évidents. Mais comment expliquer le fait que certains aidants présentent un risque accru de maladies somatiques telles que des pathologies cardiovasculaires ou infectieuses ?

Plusieurs facteurs peuvent d’emblée être évoqués. Le rôle d’aidant peut mener, dans les situations les plus éprouvantes, à une altération du mode de vie (mauvaises habitudes alimentaires, sédentarité…) voire au développement de conduites à risque pour la santé (augmentation de la consommation d’alcool, retard ou renoncement aux soins…). D’après l’enquête HSA, entre 6 et 18 % des aidants de personnes âgées déclarent par exemple avoir renoncé à des soins au cours de l’année écoulée alors qu’ils en ressentaient le besoin [2].

L’accompagnement d’un proche par la réalisation de tâches émotionnellement et/ou physiquement éprouvantes place l’aidant dans une situation de stress chronique, qui peut être vécue de manière plus ou moins forte selon l’intensité de l’aide apportée, la nature de la relation entre l’aidant et l’aidé, la personnalité et les ressources de l’aidant… Cet état de stress est clairement en cause dans l’augmentation du risque de maladies. En effet, il est bien démontré qu’une personne en situation de stress est soumise à un certain nombre de modifications biologiques et physiologiques, elles mêmes directement en cause dans la survenue de processus pathologiques. Ainsi, le stress chronique peut induire une modification des taux sanguins de composants inflammatoires et de la coagulation, ou encore un dysfonctionnement de la paroi artérielle, ces éléments pouvant concourir au développement d’athérosclérose et, à long terme, à l’apparition de pathologies cardiovasculaires [11,17]. Le stress peut également entraîner de nombreuses modifications au niveau des éléments constitutifs du système immunitaire, ayant notamment pour conséquence une susceptibilité accrue à certaines infections [11].

En conclusion…

A l’image de la population générale, les personnes aidantes constituent un groupe de population très diversifié. Les situations d’aide, extrêmement variées (selon la nature de la relation entre l’aidant et l’aidé, la maladie prise en charge, le type d’aide apportée…), peuvent être vécues de manière elle-même très variable par les aidants (selon leurs ressources, les circonstances dans lesquelles l’aide intervient…).

Cette grande hétérogénéité s’exprime également au travers de l’état de santé des aidants.Il ne fait pas de doute que le statut d’aidant peut avoir des répercussions négatives sur la santé, tout particulièrement en termes de troubles psychiques et de dépression. Mais dans la mesure où l’accompagnement effectué par l’aidant ne représente pas une charge trop importante, celui-ci peut en tirer des bénéfices certains pour sa propre santé.

 

 

Dr Jean-François BUYCK

Médecin de santé publique

Références

[1] The National Health Service Information Centre, Social Care Team. (2010). Survey of carers in households 2009/10. [Online]. www.hscic.gov.uk/pubs/carersurvey0910

[2] Soullier N. (2012). Aider un proche âgé à domicile : la charge ressentie. Etudes et résultats. Drees. n° 799. 8 p.

[3] Buyck JF, Bonnaud S, Boumendil A et al. (2011). Informal caregiving and self-reported mental and physical health: results from the Gazel cohort study. Am J Public Health. vol. 101, n° 10. pp. 1971–1979.

[4] Fredman L, Cauley JA, Hochberg M et al. (2010). Mortality associated with caregiving, general stress, and caregiving-related stress in elderly women: results of caregiver-study of osteoporotic fractures. J Am Geriatr Soc. vol. 58, n° 5. pp. 937–943.

[5] Roth DL, Haley WE, Hovater M et al. (2013). Family Caregiving and all-cause mortality: findings from a population-based propensity-matched analysis. Am J Epidemiol. vol. 178, n° 10. pp. 1571–1578.

[6] Poulin MJ, Brown SL, Ubel PA et al. (2010). Does a helping hand mean a heavy heart? Helping behavior and well-being among spouse caregivers. Psychol Aging. vol. 25, n° 1. pp. 108–117.

[7] Poulin MJ, Brown SL, Dillard AJ et al. (2013). Giving to others and the association between stress and mortality. Am J Public Health. vol. 103, n° 9. pp. 1649–1655.

[8] Fredman L, Doros G, Ensrud KE et al. (2009). Caregiving intensity and change in physical functioning over a 2-year period: results of the caregiver-study of osteoporotic fractures. Am J Epidemiol. vol. 170, n° 2. pp. 203–210.

[9] Pinquart M, Sörensen S. (2003). Differences between caregivers and noncaregivers in psychological health and physical health: a meta-analysis. Psychol Aging. vol. 18, n° 2. pp. 250–267.

[10] Vitaliano PP, Murphy M, Young HM et al. (2011). Does caring for a spouse with dementia promote cognitive decline? A hypothesis and proposed mechanisms. J Am Geriatr Soc. vol. 59, n° 5. pp. 900–908.

[11] Fonareva I, Oken BS. (2014). Physiological and functional consequences of caregiving for relatives with dementia. Int Psychogeriatr. vol. 26, n° 5. pp. 725–747.

[12] Lee SL, Colditz GA, Berkman LF et al. (2003). Caregiving and risk of coronary heart disease in U.S. women: a prospective study. Am J Prev Med. vol. 24, n° 2. pp. 113–119.

[13] Lee S, Colditz G, Berkman L et al. (2003). Caregiving to children and grandchildren and risk of coronary heart disease in women. Am J Public Health. vol. 93, n° 11. pp. 1939–1944.

[14] Kiecolt-Glaser JK, Dura JR, Speicher CE et al. (1991). Spousal caregivers of dementia victims: longitudinal changes in immunity and health. Psychosom Med. vol. 53, n° 4. pp. 345–362.

[15] Allonier C, Dourgnon P, Rochereau T. (2010). Enquête sur la santé et la protection sociale 2008. Irdes. 254 p.

[16] Schulz R, Beach SR. (1999). Caregiving as a risk factor for mortality: the Caregiver Health Effects Study. JAMA. vol. 282, n° 23. pp. 2215–2219.

[17] Roepke SK, Chattillion EA, von Känel R et al. (2011). Carotid plaque in Alzheimer caregivers and the role of sympathoadrenal arousal. Psychosom Med. vol. 73, n° 2. pp. 206–213.