Aidants et soignants : une histoire de confiance

Aidants et soignants : une histoire de confiance

La relation entre aidants et soignants peut être faite de non-dits dont la principale victime est la personne aidée.

Si vous ressentez l’arrivée de soignants et d’auxiliaires de vie dans votre quotidien comme une intrusion, il est pourtant possible, et souhaitable, de l’envisager comme un challenge positif qui bénéficiera à tous, et avant tout à la personne aidée.

Comme l’illustre la petite histoire de Sylvain, aidant de son père Rémi.

A la mort de sa mère, Sylvain était encore étudiant et s’était retrouvé seul avec un père désespéré. Quelques mois plus tard, le jeune diplômé avait trouvé un travail et avait envisagé de s’installer dans un petit appartement proche de la maison familiale. Mais il n’en avait pas eu la force. Ou l’envie. Il ne sait plus trop. Il avait décidé de rester avec son père.

Et puis l’état de ce dernier s’était progressivement aggravé. Son anxiété s’était lentement muée en agressivité, ses absences avaient été de plus en plus fréquentes. Il passait du rire aux larmes et dormait de plus en plus mal. Quand ses mouvements se firent plus difficiles, on su que ce n’était pas une simple dépression : le médecin diagnostiqua une maladie de Parkinson, qui devint progressivement de plus en plus invalidante. Sylvain organisa ses horaires de travail pour permettre à son père de maintenir son autonomie, et fit une croix définitive sur le bel appartement qu’il songeait acheter.

Au début de l’année 2020, juste avant l’épidémie, Sylvain avait décidé de se faire aider, sur les conseils de son médecin. Un kinésithérapeute un peu pète-sec passait deux fois par semaine pour essayer de renforcer les fonctions motrices de Rémi, de plus en plus défaillantes. Tous les matins, une aide à domicile venait lui faire sa toilette, car Sylvain se sentait bien incapable de laver son père devenu incontinent. Une autre faisait faire une grande balade à Rémi, tous les trois jours. Etre un proche aidant ne veut pas dire s’épuiser, Sylvain l’avait compris. Mais il se sentait un peu coupable de ne plus passer autant de temps avec son père, et de plus ou moins lui imposer ces soins.

A l’annonce du confinement, le passage de ces soignants fut remis en question. Par chance, l’aide à domicile put continuer la toilette quotidienne, en respectant des règles strictes de protection. Le kiné, quant à lui, stoppa son activité ; tout comme la personne qui accompagnait Rémi dans ses sorties. Ce fut d’abord une source d’affolement pour Sylvain. Mais, à la réflexion, c’était peut-être aussi l’occasion de faire le bilan des premiers mois de ce dispositif, dont il n’était pas totalement satisfait. Il sentait, sans avoir pu encore l’exprimer vraiment, qu’il n’était pas parti du bon pied avec les soignants.

Sylvain avait très mal vécu la première visite du kiné. La trentaine, sportif, le jeune kiné sûr de lui ne faisait pas dans le sentiment. Il était là pour dispenser des exercices physiques, selon un protocole bien rodé, efficace, et il s’adressait à Rémi comme un prof de gym parlent à des collégiens. Il en rajoutait même un peu face à l’agacement de Sylvain, pour bien lui montrer qui était le « pro ». Bref, entre les deux hommes s’était aussitôt installé un sentiment de défiance.

L’aide soignante chargée de la toilette de Rémi n’était guère plus appréciée de Sylvain. C’était pourtant une femme drôle, une antillaise au verbe cru qui annonçait la couleur lorsqu’elle rentrait dans la chambre de Rémi : « Madame Quéquette est là, c’est l’heure de la douche ! » Mal à l’aise, Sylvain ne prenait habituellement pas son petit-déjeuner à la maison, mais s’éclipsait et descendait dans le café d’en bas pour boire un expresso avant de partir bosser. Confinement oblige, le café était fermé et il télétravaillait. Il avait donc appris à tolérer chaque matin les gesticulations et les rires de madame Quéquette. A contre-cœur. Jusqu’au jour où Dorothée – c’était son prénom – lui avait demandé si elle pouvait boire un café avec lui, car elle n’avait pas eu le temps d’en prendre un avant de partir de chez elle. Il parlèrent pendant une heure. Du boulot de Dorothée, de son enfant handicapé, de la situation de Rémi, des difficultés de Sylvain, de ce foutu virus, de la vie… Depuis, Sylvain fut admiratif et amusé de l’énergie joyeuse déployée par madame Quéquette.

Avec l’étudiante qui baladait Rémi, c’était autre autre histoire. D’abord, elle était très jeune et elle faisait ce job pour payer ses études. Sylvain aurait préféré une personne qui ait choisi cette activité par vocation. Ensuite, ses horaires n’étaient pas fixes. Elle les aménageait en fonction de ses cours, et, pensait-il, des aléas d’une vie d’étudiant. Etait-elle sérieuse ? Ne passait-elle pas son temps au téléphone pendant la promenade ? Pire, ne retrouvait-elle pas quelqu’un dans un square de la capitale, obligeant Rémi à attendre patiemment que les tourtereaux aient terminé leurs embrassades ?

Pendant le confinement, Sylvain téléphona à Mélanie – c’est le nom de cette jeune étudiante. Il s’était fait mal au dos, il se sentait épuisé, et il lui demanda si elle accepterait de venir faire la lecture à Rémi, puis une virée d’une heure pour profiter du beau temps et des odeurs printanières, si peu habituelles à Paris. A sa surprise, Mélanie n’hésita pas un seul instant et le remercia pour cette proposition. Ses excursions avec Rémi lui manquaient.

Le surlendemain, lorsque Mélanie arriva, Sylvain allait mieux. Il écouta la jeune femme lire des poèmes de Victor Hugo et constata combien sa voix apaisait son père. Puis ils sortirent tous les trois pour une longue déambulation dans des rues désertes et ensoleillées. Il apprit que Mélanie était étudiante en psychologie et qu’elle se spécialisait en art-thérapie. Elle avait hésité à faire du théâtre, mais elle avait senti à quel point elle avait besoin du contact avec des personnes fragiles pour se sentir utile et pour donner un sens à sa vie. Elle raconta à Sylvain qu’elle mettait en scène les virées de Rémi pour en faire, à chaque fois, des aventures insolites. Un jour, elle l’emmenait devant un monument et lui racontait l’Histoire, avec un grand H. Un autre, ils faisaient le tour des roseraies d’un parc de la ville et essayaient de définir les couleurs de chaque fleur. Parfois, ils discutaient avec l’épicier ou retrouvaient son amoureux, qui leur jouait un morceau de guitare. Sylvain eu l’impression, ce jour-là, d’être en compagnie d’une Amélie Poulain !

Mélanie, qui ne s’était jamais vraiment intéressée à Sylvain, se rendit compte que le fils de son protégé était un peu paumé et dépassé par la situation. Il avait laissé des personnes agir sur son quotidien et celui de son père sans vraiment s’impliquer, se sentant à la fois soulagé et dépossédé. Le kiné, pensa-t-elle, avait sans doute besoin d’une petite « mise à jour »… Mélanie proposa d’être présente pendant une séance de soins à domicile pour lui suggérer gentiment de s’adresser différemment à Rémi. Sylvain se dit que la fin du confinement et le retour du professionnel pourraient effectivement être l’opportunité d’un nouveau départ.

Par une journée pluvieuse du mois de juin, Mélanie organisa une entrevue des trois soignants chez Rémi et Sylvain, autour d’un café. Maxime, le kiné, put parler de son activité mais aussi de la manière dont il avait appris à se protéger de ses émotions, en adoptant cette attitude de scout qui avait choqué Sylvain. D’abord un peu péremptoire, il finit par se détendre en parlant de l’amélioration continue de sa technique. Il était passionné par son boulot. Dorothée parla pour la première fois de la forme des selles de Rémi – autant dire que Sylvain était caché sous la table -, et cela fit bien rire tout le monde ! Mais, surtout, cela permit de parler des habitudes alimentaires de Rémi et d’envisager quelques changements, pour améliorer son transit. Mélanie, quant à elle, annonça qu’elle partirait bientôt pour le Québec afin d’y poursuivre ses études. Sylvain s’étrangla, toussa, reprit ses esprits… et prit les chose en main. Mélanie n’était pas irremplaçable. Les connaissances techniques et les méthodes des soignants et des auxiliaires de vie ne lui faisaient plus peur. Il se sentait capable de coordonner leurs actions, d’organiser régulièrement des discussions pour faire le point sur l’évolution de la situation, de les informer des événements qui influencent la vie de Rémi, et nécessitent d’adapter les soins. Et de se reposer sur eux. Bref, il se sentit, ce jour-là, faire partie d’une équipe toute tournée vers le bien-être de son père. Dehors la pluie tombait, mais dedans la chaleur rayonnait.

Entre aidants, soignants et auxiliaires de vie, doit se construire une relation de confiance afin que la prise en charge du proche parent aidé lui soit bénéfique. Les soignants sont souvent débordés et ne pensent pas à prendre le temps de s’informer sur les aléas de la vie quotidienne qui ont un impact sur l’état émotionnel de la personne aidée. Il faut les solliciter, leur parler, car toute information est précieuse et peut conduire à adapter les soins. Les aidants ne doivent surtout pas hésiter à expliquer ce qu’ils attendent des soignants et des auxiliaires de vie. Dans la mesure du possible, être présent lors des premiers rendez-vous permet d’évoquer les questions intimes dont la connaissance est nécessaire au bien-être de l’aidé. Des soignants arrivant dans une nouvelle maison seront d’autant plus impliqués qu’ils seront convaincus, par leurs échanges avec l’aidant, que leur action est importante, valorisée, respectée, et qu’elle fait l’objet de discussions qui permettent de la faire évoluer et de l’améliorer.

Jean-Christophe Moine
Ethnomédia
08/06/2020
www.jean-christophe-moine.com